Troupe de reconstitution viking du IXe siècle

 

Olaf

Même au sein de notre troupe, déjà bien habituée aux excentricités et aux histoires atypiques, Olaf fait figure d'original. Stig nous l'a présenté la veille de notre départ, juste avant la grande fête donnée par le jeune jarl. Olaf était alors souriant et sociable, mais peu bavard. Et surtout sobre.

Il parlait avec un étrange accent, et portait des bijoux que nous n'avions jamais vus. Il se présenta comme un fier combattant étranger, un grand voyageur passé par la Francie, la Germanie, et qui avait même posé le pied en Afrique, ce lointain continent où le soleil tape si fort qu'il assèche la terre, où les animaux sont immenses et étranges, et où la peau des hommes a pris la couleur de la nuit. Autant vous le dire, Olaf nous apparut alors comme un héros, auréolé de gloire et de mystère. Chacun voulait trinquer avec lui, et il trinqua avec chacun.

 

Je dois l'avouer, il a plutôt bien résisté à toutes ces cornes d'hydromel. Aux dix premières en tout cas. Mais lorsque Brom, déjà bien éméché (et un peu jaloux de la gloire rapidement acquise de notre nouveau compagnon) le défia dans un concours de boisson, Olaf fut obligé d'accepter. Personne ne sait combien de cornes ils ont alors asséchées, sous les encouragements des convives. Toujours est-il que, la boisson aidant, les langues se délièrent et Olaf devint soudain très volubile. Il nous conta alors une histoire sensiblement plus exhaustive que la version précédente.

Il nous raconta toute sa vie, à la manière confuse et balbutiante d'un ivrogne. Je ferai ici, lecteur, un récit reconstitué et organisé, par souci de clarté. Olaf nous conta son enfance montagnarde dans le sud de la Francie, son apprentissage aux côtés de son père, orfèvre richissime et reconnu, son initiation au maniement des armes, indispensable à tout jeune Franc qui se respecte, sa reprise de l'activité familiale. Puis ses voyages, les grandes foires d'Europe, les cours royales, jusqu'à l'invitation d'un grand prince africain. Il rencontra là-bas une femme qui lui donna son premier enfant, un garçon. Mais elle ne le suivit pas, et il rentra seul en Francie, poursuivant son travail, multipliant les voyages. Il eut un second enfant, une fille, d'une burgonde au caractère bien trempé.

Puis sa vie bascula. Il fut capturé par un raid islandais lors d'un voyage en Camaria. Incapable de comprendre ses ravisseurs, incapable de se faire comprendre d'eux, il fut ramené en Islande. Il devint un esclave, et travailla plusieurs années au service d'un petit seigneur local.

 

A cet instant du récit, il y eut soudain un grand silence, immédiatement suivi d'une véritable cacophonie. Stig fut défié, menacé même, pour avoir admis dans l'expédition un esclave, un simple thrall. Comment avait-il pu se laisser abuser à ce point ? Stig, aussi échauffé par l'alcool que les autres, fut prompt à saisir sa hache et les choses auraient vite dégénéré si Olaf, d'une voix de tonnerre, n'avait pas couvert le vacarme et poursuivi son récit.

 

Après une demi-douzaine d'années en Islande, Olaf fut offert en cadeau à un jarl norvégien, ce même jarl qui aujourd'hui finance notre expédition. Celui-ci s'avéra plus observateur que le précédent propriétaire d'Olaf puisqu'il ne tarda pas à réaliser les immenses talents de son esclave en matière d'orfèvrerie et d'habileté manuelle. Il réalisa également qu'en Francie Olaf était riche et admiré. Très riche et très admiré. Il prit conscience que la servitude ne mettrait pas en valeur un homme de cette qualité. Il libéra l'esclave, contre sa parole de rester loyal à son jarl et de lui offrir la moitié de ses richesses. Il y eut une grande fête pour célébrer cet affranchissement. Olaf reçut son nom et sa citoyenneté. Il put de nouveau porter et manier les armes, qu'il avait dû délaisser depuis bien longtemps. Notre langue lui fut enseignée, car les rudiments qu'il avait lui-même appris en Islande étaient bien insuffisants face à un jarl. Nos dieux devinrent les siens, et Olaf nous avoua plus tard qu'il n'avait jamais vénéré le dieu unique des Francs, lui préférant les anciens dieux celtes.

Ce fut Olaf qui convainquit le jarl de financer une expédition en Francie, lui décrivant son immense fortune personnelle, ainsi que celle encore plus grande des rois et surtout des religieux. Le jarl, choisit alors Stig comme chef d'expédition, et Brom comme second. Il laissa à Stig le soin de choisir le reste de son équipage, mais il exigea qu'Olaf en fasse partie, en raison de ses grandes connaissances de la Francie. Stig n'avait pas cherché à savoir qui était cet homme étranger ; son jarl l'avait simplement jugé digne de participer à l'expédition.

 

La fin du récit d'Olaf calma les esprits enfiévrés. L'hydromel coula de nouveau à flots. A la demande générale, Olaf décrivit son voyage en Afrique et ses animaux bizarres. Les énormes éléphants, avec leur queue à la place du museau. Les crocodiles et leurs dents acérées. Il nous parla même des rhinocéros, ces grosses souris africaines qu'aucun d'entre nous n'a jamais vus. L'étranger avait perdu son auréole de mystère mais avait gagné la sympathie de tous.

Brom, qui tenait à peine debout, le défia à nouveau. Il y eut des paris sur le vainqueur, mais nul n'aurait su dire qui l'emporta. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'ils se défient encore dans tous les domaines aujourd'hui, incapables de se départager. Toujours est-il que nos deux concurrents terminèrent la soirée dehors, étendus l'un contre l'autre et roulés dans leurs fourrures, bien incapables de rejoindre leurs tentes.

 

Le lendemain matin, le soleil timide et le bruit des vagues contre la coque du langskip suffisaient à leur donner la migraine.

 

Úlfrún Rúnfriðardóttir, 3 mois après le départ

 
 



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