Troupe de reconstitution viking du IXe siècle

 

La saga du clan

 
Chapitre 1: Première vague

Comme un sage d'une lointaine contrée l'a dit un jour, « un voyage de mille lieues commence par un premier pas ». Pour nous, ce voyage commença en fait par une première vague, celle qui emporta notre navire au large de la Norvège. Les neiges avaient fondu, le printemps laissait timidement poindre un rayon de soleil derrière les sommets couronnés de brume, et sans le vent encore mordant du Nord il aurait presque fait chaud.


 

La veille, le jarl nous avait régalés d'hydromel après les sacrifices, oracles et autres rites indispensables avant le départ d'une telle expédition. Nous pûmes, à cette occasion, rencontrer ceux que nous ne connaissions pas encore, nos nouveaux frères. C'est à cette occasion également que je réalisai que Stig Tillson, notre chef d'expédition, n'était pas le seul original de la troupe. En fait, tous ses membres ou presque étaient aussi excentriques qu'habiles, et personne n'aurait pu mettre en doute leur habileté. Qu'ils manient les armes, le ciseau ou le verbe, tous excellaient dans leur domaine. Et tous étaient fantasques, à leur manière...

Malgré l'éducation maternelle, qui m'avait préparée à ne m'étonner de rien, je fus surprise. Jamais je n'avais vu autant d'hurluberlus se rencontrer dans la joie et l'hydromel. Au cours de cette soirée de départ, j'assistai à des pactes de fraternité entre protagonistes qui, une minute plus tôt, se défiaient à mort. Je vis un homme ramper à la recherche de sa dignité, et un autre jurer son amour à une chèvre. Je vis des tisserandes lancer des haches et des guerriers appeler leur mère. Je l'avoue, au début cela me décontenança. Au début. Mais mes inquiétudes s'estompèrent dans les vapeurs d'hydromel.


 

C'est donc avec un joyeux mal de crâne que débuta notre voyage, sous le timide rayon printanier et le vent mordant du Nord. En plus du jarl lui-même, plusieurs curieux assistaient au départ de cette ambitieuse expédition. Gonflé de fierté, Stig s'était placé à la proue, les mains sur les hanches, donnant ses premiers ordres en scrutant l'horizon de son regard d'aigle... avant que le premier roulis mette à mal un équilibre d'ivrogne bien précaire. Mais je crois que les badauds sur la côte ne le remarquèrent pas.

Hormis deux tempêtes et quelques péripéties liées à l'appétit de troll de certains, la navigation se déroula sans encombre, et au bout de quelque temps nous fûmes en vue des côtes de Francia. Stig possédait de précieuses informations sur l'embouchure d'un fleuve que nous pourrions remonter pour atteindre les terres les plus riches, et notamment la cité de Paris.

Cependant, à notre arrivée, la riche cité franque se trouvait déjà aux prises avec des pillards danois. Ayant pour ordre de ne pas provoquer de conflit avec nos voisins norrois, Stig décida de délaisser Paris pour s'enfoncer un peu plus dans les terres. Un territoire encore inexploré ! Une chance inespérée de découvrir des richesses encore intactes et une berge où aucun langskip n'avait encore accosté ! Notre déception de renoncer à Paris fut de courte durée, et c'est avec entrain que la troupe manœuvra les jours suivants. Trop d'entrain...

Quelques jours après avoir bifurqué sur un cours d'eau de moindre importance, tout juste assez profond pour permettre la navigation, le clan arriva en vue d'un imposant bâtiment aux murs de pierre, sans aucun homme en armes en poste. Une aubaine. Impatients de se dégourdir les haches après plusieurs jours de voyage seulement entrecoupé de quelques raids alimentaires, les guerriers sautèrent littéralement du langskip, Stig en tête. Privé des trois quarts de ses rameurs et de son barreur, le langskip se mit à dériver au fil du courant, c'est-à-dire en marche arrière, et ne tarda pas à s'échouer sur un banc de sable proche d'une berge, éraflant au passage sa coque et déchirant la voile qui s'était prise dans une branche fourchue à la première bourrasque.

 

A ce moment du récit, visiteur, je dois te dire que je m'efforce de rendre notre saga héroïque, digne des plus grands, digne d'être chantée par les scaldes. Je m'y efforce réellement. Mais je m'efforce également de faire un récit complet de nos aventures, et ce passage est crucial à qui veut nous connaître. Alors, de même que le vol de Mjöllnir a pu faire perdre de son prestige au grand Thor sans pour autant le rendre ridicule, j'espère sincèrement que notre naufrage ne nous discréditera pas totalement.

 

Cette parenthèse étant fermée, quel fou rire ! Oh, pas sur le coup non, bien sûr. Mais après avoir vérifié que seuls bois et toile avaient souffert, et surtout après avoir vu les visages déconfits de nos vaillantes têtes brûlées, victorieuses mais à pied, chargées de trésors, en sueur après avoir cherché le navire sur plusieurs centaines d'arpents, il nous fut impossible de ne pas laisser éclater notre joie.

 

Car c'est ce que nous étions, ce que nous sommes toujours: imprévisibles, audacieux, et prompts à nous enflammer, dans le combat ou dans la fête. Nous étions en terre inconnue, sans navire, sans campement, sans même une idée du lendemain. Mais nous étions vivants, ensemble et les dieux nous veillaient depuis le ciel. Ce soir-là, le vin des Francs coula à flots.

Úlfrún Rúnfriðardóttir
 

 
 



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